« Ce jour-là, j’ai été accusée de maltraitance » – Témoignage d’une soignante en EMS
Témoignage
Ce jour-là, j’étais en train de terminer la toilette de Madame L. Elle était un peu fatiguée, mais coopérante, comme souvent. Je m’étais appliquée à respecter son rythme, à lui parler doucement, à garder le geste délicat.
Sa fille est arrivée sans que je m’en rende compte, alors que j’étais concentrée sur la toilette intime de sa maman. Elle est restée là, debout, derrière nous, silencieuse. Je ne sais pas combien de temps elle a observé. Pour moi, c’était une routine, un soin que je faisais avec toute mon attention.
C’est au moment où j’ai posé la protection intime que tout a basculé. Elle m’a lancé, les yeux remplis de colère :
« Vous lui avez fait mal, je l’ai bien vue, elle avait peur de vous ! »
Je suis restée bouche-bée, je n’ai rien compris. Je crois que je n’ai même pas réussi à répondre tout de suite. J’ai senti mon cœur s’accélérer, comme un choc invisible. Comment pouvait-elle penser ça ? Madame L. ne s’était pas plainte. Elle avait même échangé un petit regard complice avec moi quelques instants plus tôt, comme elle le fait parfois.
J’ai essayé d’expliquer calmement, de dire que j’étais simplement en train de terminer le soin, que tout s’était bien passé. Mais rien à faire. Elle répétait que je l’avais volontairement et cruellement brusquée en lui mettant la couche de protection.
Je suis restée seule dans la chambre après son départ. J’avais la gorge serrée, les larmes pas loin. Un mélange de honte, de révolte, d’injustice. On fait ce métier pour prendre soin, et d’un coup, tout bascule.
Comment peut-on passer, en un instant, de soignante attentive à bourreau présumé ?
Je suis allée voir ma collègue. Elle m’a écoutée, m’a rassurée. « Tu n’as rien fait de mal, on est là pour toi. » On a prévenu l’infirmière référente, qui a pris le relais avec la famille. Heureusement, notre cadre nous a soutenues et a réexpliqué calmement la situation aux proches.
Mais depuis, ça me hante un peu. Même si je sais que je n’ai rien fait de mal, j’ai commencé à douter, à avoir peur qu’un geste soit mal interprété, à surveiller mes mots plus que jamais.
Quand la confiance est cassée, même injustement, ça laisse des traces.
Commentaire du formateur : « Entre émotion et accusation – comprendre, répondre et se protéger »
Les situations comme celle vécue par cette soignante ne sont malheureusement pas rares. Elles sont profondément déstabilisantes, car elles nous heurtent dans notre identité professionnelle et humaine. Être accusé·e de maltraitance alors qu’on exerce son métier avec respect et conscience est une forme de blessure silencieuse, parfois très douloureuse.
Pourquoi ces accusations émergent-elles ?
Dans un établissement de soins, les familles traversent souvent des émotions complexes : tristesse, impuissance, culpabilité, frustration. Lorsqu’elles arrivent dans l’intimité d’une chambre sans prévenir, leur regard est chargé de projections et leur interprétation est parfois influencée davantage par leur douleur personnelle que par la réalité objective.
La scène décrite ici est révélatrice : une fille entre dans une chambre, voit un soin intime en cours, reste silencieuse et se forge en quelques secondes une conviction erronée, déclenchant une accusation.
Ce n’est pas seulement une incompréhension : c’est une collision émotionnelle, entre ce que le proche perçoit et ce que le soignant vit.
Répondre sur l’instant : un exercice de haute précision
Dans ces moments-là, notre capacité à répondre sans nier le ressenti du proche, tout en protégeant notre propre dignité est essentielle. Cela ne s’improvise pas. La sidération émotionnelle, très fréquente dans ce type d’échange, peut nous couper les mots de la bouche. On ressent un mélange d’humiliation, de révolte et de stress, qui vient figer notre discours ou brouiller nos pensées.
C’est pour cela que je parle souvent de « parachutes de secours communicationnels ». Ce sont des phrases courtes, prêtes à l’emploi, que l’on a réfléchies à l’avance pour rester ancré·e dans le respect, le calme, et la cohérence professionnelle.
Par exemple :
- « Je comprends que cela vous inquiète. Est-ce que je peux vous expliquer ce que je suis en train de faire ? »
- « Votre réaction montre que vous êtes attentive à votre maman, et c’est normal. Permettez-moi de vous expliquer notre façon de procéder. »
- « Je vous propose qu’on prenne quelques instants pour en parler avec ma collègue afin d’éclaircir ce qui vous a interpellée. »
Ces phrases ne cherchent pas à convaincre, ni à se justifier dans la panique. Elles ouvrent un espace, sécurisent l’échange, désamorcent sans s’effacer. Elles protègent à la fois le résidant, le proche et… le professionnel.
Pour cela, il faut une conscience émotionnelle développée
Être capable de sortir ces phrases au bon moment implique une bonne connaissance de ses propres émotions. Si je ne suis pas conscient·e de la colère qui monte, de la peur de « mal faire », de la honte de « mal paraître », je risque d’être submergé·e. Et alors, le mot juste ne vient pas. Ou pire, il sort de travers.
Gérer ses émotions, ce n’est pas les étouffer. C’est savoir les reconnaître, les nommer intérieurement, et faire de la place pour les paroles utiles, celles qui apaisent sans se renier.
« Pour élaborer des parachutes communicationnels adaptés à chacun·e, rien ne vaut la formation continue et des jeux de rôle encadrés par un·e formateur·rice expérimenté·e, capables de recréer l’intensité émotionnelle du terrain tout en offrant un cadre sécurisé pour tester, ajuster et ancrer ses réponses. »
Se soutenir entre collègues
Face à ces moments difficiles, le soutien entre pairs est essentiel. Un mot, un regard, une pause ensemble peuvent faire toute la différence. La reconnaissance doit venir autant de l’équipe que de la hiérarchie.
Et surtout : n’oublions pas que faire ce métier, c’est marcher chaque jour sur une ligne fine entre le soin technique et la relation humaine. C’est normal d’être affecté. Mais c’est aussi une chance d’être accompagné, formé, renforcé.
En conclusion
Chers soignantes et chers soignants, ce métier est exigeant, parfois douloureux, mais il est aussi noble. Les accusations injustes existent, oui. Mais elles ne doivent pas effacer votre engagement, ni votre valeur. Continuez à vous former, à dialoguer, à prendre soin de vous comme vous prenez soin des autres.
Et souvenez-vous : vous avez le droit d’être respecté·e, écouté·e, et soutenu·e. Toujours.
Laurent
